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« indietro In Zanzotto e le lingue altre, Semicerchio LXVIII, pp. 86-87.
A la rue Descartes Michèle Finck
Fin du confinement. Besoin de corps et de visages. Sortir. Nez bouches bâillonnés. Mais sortir. Affamés de rues et de rythmes. Antennes des yeux et des oreilles grandes ouvertes sur les boulevards bigarrés. Palper enfin Paris vivant. Chorégraphie bizarre de silhouettes masquées qui marchent somnambules sans se toucher ni se frôler : distantes les unes des autres d’au moins un mètre comme si elles portaient toutes la même pancarte : Noli me tangere. Pour la première échappée belle choisir la rue des poètes : butiner la rue Descartes. Rue de Verlaine n’est-ce-pas ? Au 39 plaque rouillée : Dans cette maison est mort le 8 janvier 1896 le poète Paul Verlaine. En contrebas un petit restaurant de Cuisine Française traditionnelle : La Maison de Verlaine. Murs râpeux. Paie pas de mine. En vitrine deux portraits : Verlaine et Rimbaud. Photocopies délavées presque effacées et le clin d’oreille d’un vers du pauvre Lélian : Il pleure dans mon coeur bien sûr ! Par terre traîne un masque sale. Tiens ! En face au numéro 40 badigeonné de blanc d’Espagne un Bar cocktails façon Bohème baptisé Bateau ivre. Quoi de mieux ? Mais restaurants cadenassés grilles métalliques rabattues à cause de la pandémie. Assis en tailleur sur une marche cassée de La Maison de Verlaine deux adolescents masqués écrivent des poèmes à tire-larigot dans un cahier vide. Parfois ils dessinent aux crayons mordillés des figures qui rayonnent. Mains barbouillées de couleurs comme s’ils voulaient peindre le monde à même les doigts. Moi aussi aujourd’hui je voudrais écrire en trempant les mains dans les couleurs. Je sens donc je suis. Leurs masques font ressortir leurs yeux écarquillés. Pourquoi ne s’appelleraient-ils pas Paul et Arthur ? Au numéro 39 une autre plaque : Hemingway a vécu ici de 1921 à 1925. Aujourd’hui pour nous Paris est une fête. Dans la vitrine de la Maison de Verlaine une photographie floue d’Hemingway bavarde à bâtons rompus avec les portraits pâlis de Verlaine et Rimbaud. Vous savez ce que c’est un poète ?...Verlaine écrivait le Rilke mélancolique des Cahiers de Malte Laurids Brigge quand il logeait tout près d’ici 11 rue Toullier seul et dévisageant la mort. Son unique patrie : la poésie. Pas en vers. En prose. Il voulait apprendre à voir et penser par les yeux. Lui aussi a eu droit à une plaque commémorative impeccable sur le mur rêche de son immeuble transformé au rez-de-chaussée en magasin propret réfrigéré de Sushi hawaïen au nom étrange de Pokè Fresh. Un homme masqué de mort file en douce. A l’angle décrépi du 40 rue Descartes le grand arbre bleu peint par Alechinsky et le poème d’Yves Bonnefoy. Ils forment un haut diptyque sur le mur gris. Ils nous hèlent comme un vent : Passant, regarde ce grand arbre et à travers lui il peut suffire. Car même déchiré, souillé, l’arbre des rues, c’est toute la nature. Maculés eux aussi les mots urgents du poème d’Yves Bonnefoy. Noircis. Presque illisibles. Les taches tamisées ont une forme étrange que tu veux photographier. Près du mur et du poème pousse émouvant un véritable arbre des rues malingre. Aimer que le poème soit encadré par l’arbre chétif et la fresque bleue de l’arbre peint. Voilà la poésie ce matin. Tu cherches avec des fous rires à faire une photo en plan large. Pour y parvenir tu recules de quelques pas en dansant. Et c’est tout à coup derrière la courbe claire de ton dos le pochoir coloré de l’artiste C215 : Street art éphémère représentant Toussaint Louverture sur une porte de service du lycée Henri IV au croisement lumineux des rues Descartes et Clovis dans la série Illustres ! Autour du Panthéon. Que poésie et peinture débusquées sortent enfin des livres et dégringolent des murs multicolores vers le large ¬ top of page |
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